Apple envisage de distribuer, via sa plateforme de VOD, des films 3 mois après la sortie en salle sans tenir compte des règles de la chronologie des médias (salles, DVD, VOD, chaînes premium etc…). Si cela se produit, ce que nous prédisons depuis plus de deux ans, ce sera un véritable séisme, mais au combien prévisible, qui va déferler sur cette industrie.
En effet, au delà des problèmes de revenus pour les producteurs de films, c’est également un souci pour toute la chaîne de valeur des distributeurs aux chaînes de télévisions payantes et gratuites.
Démonstration
Que ce soit sur Canal +, TF1 ou M6, les séries étrangères, essentiellement US, sont préposées bien après la diffusion dans le pays d’origine. C’est ainsi que nous sommes souvent en retard d’une ou plusieurs saisons par rapport aux Etats-Unis mais également du Canada. Ce n’est pas anodin car les tarifs d’achat de droits de diffusion dépendent en partie de ce décalage. C’est également pour les chaînes le moyen de minimiser les risques en prenant les séries à succès qui fond de l’audience dans le pays d’origine.
Cela concours largement au téléchargement illégal car ces séries sont souvent disponibles en VF en avance de plusieurs mois par rapport à la diffusion télé ou la vente des DVD. Lors du Forum des Opérateurs 2006 (articles ici et ici) Michael Boukobza (DG de Free) avait d’ailleurs dit que les ayants droits se rendaient complices du téléchargement illégal en ne proposant pas de solution légale à la VOD.
Pour l’instant comme le peer to peer, en pourcentage de la consommation, reste assez faible, cela perturbe mais n’a pas encore mis à mal tout le système. Steve Jobs qui se projette plus avant, avait déjà annoncé qu’il envisageait de proposer des services plus en rapport avec la nouvelle économie numérique et les habitudes des consommateurs en terme de contenus dématérialisées.
Un risque pour la production française ?
La disponibilité des contenus audiovisuels, films et séries américaines 3 mois après la sortie aux Etats-Unis va également avoir un impact sur la production française. Cela fait de nombreux mois que les rédacteurs de YouVox Tech mettent en garde contre les risques de marginalisation des œuvres francophones liés au financement et surtout à l’amortissement sur un marché international.
En effet si l’on trouve facilement et à faible coûts des contenus internationaux sur Itune, quelle sera la place et les tarifs des œuvres françaises, peu internationalisées et donc non amortissables sur un marché mondial. Si produire un épisode d’une série française coute peut être moins cher qu’un épisode de Lost ou de 24h le rapport n’est pas de 1 à 10.
Ore, les séries US sont commercialisées dans de nombreux pays et les revenus générés sont considérables. Aujourd’hui le quota d’œuvres et la chronologie des médias protégeaient la production hexagonale. Qu’en sera-t-il dans un marché ouvert avec des serveurs installés au Luxembourg qui pourront distribuer leurs contenus en faisant fi des règles françaises ?
Une prédiction qui se réalise
Il y a un an, j’avais parié une caisse de Château Chasse Spleen avec un dirigeant d’une grande chaîne de télé française que la chronologie des médias disparaitrait avant cinq soit en 2011. Nous avions, à sa demande, repoussé à 10 ans soit en 2016. C’est d’ailleurs ce qui m’avait inspiré pour écrire cette nouvelle de fiction (Imaginons nous en 2016). Il semble que mon pari soit bientôt gagné ou en passe de l’être bien avant les délais impartis.
Il ne faut pas nécessairement s’en réjouir
Si cette nouvelle peut ravir les consommateurs il convient d’être prudent sur la suite de ce type d’initiative car si nous avons toujours soutenu que l’industrie des contenus musicaux et audiovisuels devait faire sa révolution il convient d’apprécier les impacts de ces bouleversements.
Il faut surtout laisser un peu de temps à ces acteurs des contenus de muter en douceur. Malheureusement les tergiversations de ces industries à vouloir protéger un modèle dépassé et les mesures politiques inadaptées (loi DADVSI, taxe COSIP…) n’ont pas motivé cette profession à évoluer la confortant derrière un discours protectionniste stupide et inefficace.
Maintenant le temps est compté. C’est un peu comme le réchauffement climatique. Au début on n’y croit pas puis on commence à y croire mais on ne fait rien. Si nous attendons trop, la nature nous imposera son rythme et là nous ne seront plus maître de notre destin.
Les industries des contenus sont prises dans une sorte d’emballement technologique associé à la mondialisation qui rend caduque les modèles actuels. S’ils ne prennent pas en main leur destin en accélérant la mutation afin de d’adapter à leur écosystème, ils disparaitront.
L’industrie américaine réagit
Les Majors américaines l’ont bien compris en combattant d’un coté le téléchargement illégal mais surtout en investissant massivement sur Internet.
Tous les médias sont concernés. La presse américaine est également en crise (ici) et se recentre sur Internet, Lagardère Media vient d’annoncer un plan bien tardif mais au combien révélateur des perspectives de cette industrie (ici). Les producteur d’Hollywood investissent les sites Internet avec l’objectifs de créer des marques de distribution en ligne à l’échelle mondiale. Que font les producteurs français et nos grands médias ? La loi française ne vous protégera pas. Il faut faire évoluer votre modèle.
Il y a maintenant urgence car si Apple respecte encore un délai de 3 mois entre la diffusion en salle aux Etats Unis ou en télévision cette barrière sera également levée dans un futur proche. Les Majors américaines, dans la production de séries, commencent déjà à diffuser en temps réel sur Internet et sur leurs réseaux hertziens afin de contrer les réseaux peer to peer qui mettent à disposition des épisodes moins d’une heure après la diffusion « on air » (ici et ici). Cela permet à des habitants de la côte ouest des US de regarder leurs séries cultes avant la diffusion télé (3 heures de décalage avec la côte est). Steve Jobs l’a bien compris il faut que cette industrie s’adapte aux technologies car il n’est pas possible de protéger convenablement le circuit de distribution actuelle. Les DRM sont régulièrement piratées et les consortiums HD DVD et Blu-Ray ont tous les deux reconnu récemment que leurs algorithmes de protection avaient été contournés par des pirates (ici et ici). Bill Gates lui-même l’a reconnu il y a quelques semaines.
Steve Jobs en tant que premier actionnaire individuel de Disney pèse de tout son poids auprès de ce groupe de médias pour accélérer la mutation. Cette porte ouverte à certains contenus ne permettra pas aux autres entreprises de rester à l’écart et tous devront suivre. Je vous invite à lire ou à relire cette nouvelle de fiction « Imaginons nous en 2016 » afin de mieux percevoir quel pourrait être notre futur proche et la révolution en cours.
L’industrie des contenus a connu un âge d’or avec une monétisation considérable de ses produits et la starisation d’artistes rendue possible par un contrôle absolu et monopolistique de toute la chaîne de valeur. Cette période est révolue et les artistes vont émerger en plus grands nombres, promus par les réseaux sociaux mais les revenus individuels seront moins importants. Les coûts de production mais également les profits générés seront également moins importants et toute l’industrie devra s’habituer à un modèle plus économe. Les labels indépendants l’ont compris avant les majors en se regroupant dans Merlin (ici)
Nous allons donc suivre avec un vif intérêt le projet Joost initié par les créateurs de Kazaa et de Skype car il semble naturellement que ces précurseurs du peer to peer aient une vision claire de la mutation en cours et que Joost soit parfaitement en phase avec celle-ci.
Nous sommes donc dans une période transitoire où les acteurs existants vont devoir cohabiter avec de nouveaux entrants et avec beaucoup d’expériences nouvelles pour trouver de nouveaux modèles. Il y a déjà des expériences qui semblent réussir comme celle de CBS avec YouTube (ici) et d’autres qui échouent comme SpiralFrog qui a fermé et ôte une belle épine du pied à Universal Music*.
Il est urgent que nos politiques et l’industrie française des contenus se réunissent afin de préparer le futur avec un regard pragmatique et non partisan. I
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* Pour mémoire, SpiralFrog avait réussi à négocier l’accès au catalogue d’Universal financé par la publicité sur son site. La Major devait visiblement souhaiter revenir sur son accord et l’arrêt de SpiralFrog doit la soulager d’un gros poids.